"Le Horla" - Guy de Maupassant

Le double - L'autre personnage - Réveler la partie cachée de soi-même.
         
    Guy de Maupassant (1850-1893) est un romancier et auteur de nouvelles (300 nouvelles et 5 romans). Il est né en Normandie près de Fécamp, cette région est le cadre de nombreuses nouvelles. Flaubert le guide dans ses études littéraires et le forme à l’esthétique réaliste. En 1884 il entreprend d'écrire Boule de Suif qui connait un succès énorme. Parmi ses romans les plus célèbres on compte : Une vie (1883), Bel Ami (1885) et Pierre et Jean (1888). En 1885 Maupassant est atteint par la syphilis, maladie infectieuse et contagieuse, il souffre d’hallucinations, d'un sentiment de persecution et écrit Le Horla qui lui permet de retranscrire ses angoisses. La dimension autobiographique de cette oeuvre est indiscutable avec les thèmes de la folie et du double. En 1892 il se fait interner dans un asile psychiatrique avant de mourir, un an plus tard, après une paralysie générale.

          Ce livre décrit la folie de l'auteur, sa terreur face à la vie. Le Horla est un être surnaturel. Le narrateur, une figure de Maupassant lui-même, ne voit pas cet être, il est invisible. Il n'est en aucun cas bénéfique pour lui puisque chaque nuit il lui boit sa vie. Le Horla amenera le narrateur à se poser des questions: cet être existe-t-il réellement ou lui-même est-il fou? Cette folie lui fera commettre des actions regrettables par la suite, il en viendra même à mettre le feu à sa maison et laissera brûler vifs ses domestiques pour essayer de se délivrer de l'emprise de son double: le Horla. L'intrigue dure environ quatre mois. Il entrevoit la mort comme seule délivrance. Le narrateur le précise dans les dernières lignes de son récit.


          Le titre est composé d’un article défini « le » qui détermine un nom propre : « Horla ». Le nom est une invention de l’auteur, le lecteur est libre d’interpréter le sens. Ce nom est peut-être constitué de « Hors » et « Là » puisque l'être invisible qui l'obsède nous donne l'impression d'appartenir à la fois au monde réel et au monde fantastique.
           Cet être est assimilé « à un insaisissable voisin » qui parle au personnage et lui « crie » son nom. Le sentiment de peur et de folie apparait nettement dans la forme du récit.


          Analyse d'extraits:

           Le sentiment de peur et de folie est souligné dans les deux extraits suivants par la ponctuation (exclamations et points de suspension) et des répétitions.

           Extrait 1: L'épisode du livre


« 17 août. Or, ayant dormi environ quarante minutes, je rouvris les yeux sans faire un mouvement, réveillé par je ne sais quelle émotion confuse et bizarre. Je ne vis rien d'abord, puis, tout à coup, il me sembla qu'une page du livre resté ouvert sur ma table venait de tourner toute seule. Aucun souffle d'air n'était entré par ma fenêtre. Je fus surpris et j'attendis. Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page se soulever et se rabattre sur la précédente, comme si un doigt l'eût feuilletée. Mon fauteuil était vide, semblait vide ; mais je compris qu'il était là, lui, assis à ma place, et qu'il lisait. D'un bond furieux, d'un bond de bête révoltée, qui va éventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l'étreindre, pour le tuer !... Mais mon siège, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant moi... ma table oscilla, ma lampe tomba et s'éteignit, et ma fenêtre se ferma comme si un malfaiteur surpris se fût élancé dans la nuit, en prenant à pleines mains les battants. » 
 
           Extrait 2: L'épisode du miroir

« 19 août. Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ? ... on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n'était pas dedans... et j'étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu'il était là, mais qu'il m'échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet. Comme j'eus peur ! Puis voilà que tout à coup je commençai à m'apercevoir dans une brume, au fond du miroir, dans une brume comme à travers une nappe d'eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, lentement, rendant plus précise mon image, de seconde en seconde. C'était comme la fin d'une éclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point posséder de contours nettement arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s'éclaircissant peu à peu. Je pus enfin me distinguer complètement, ainsi que je le fais chaque jour en me regardant. Je l'avais vu ! L'épouvante m'en est restée, qui me fait encore frissonner. » 


          Extrait 3: L'épisode de la rose:
           Que veut prouver le narrateur avec l’épisode de la rose quand il se demande :  « Mais était-ce bien une hallucination ? » :


        "6 août. Cette fois, je ne suis pas fou. J'ai vu... j'ai vu... j'ai vu !... Je ne puis plus douter... j'ai vu !... J'ai encore froid jusque dans les ongles... j'ai encore peur jusque dans les moelles... j'ai vu !... Je me promenais à deux heures, en plein soleil, dans mon parterre de rosiers... dans l'allée des rosiers d'automne qui commencent à fleurir. Comme je m'arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d'une de ces roses se plier, comme si une main invisible l'eût tordue, puis se casser, comme si cette main l'eût cueillie ! Puis la fleur s'éleva, suivant une courbe qu'aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux.  Éperdu, je me jetai sur elle pour la saisir ! Je ne trouvai rien ; elle avait disparu. Alors je fus pris d'une colère furieuse contre moi-même ; car il n'est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d'avoir de pareilles hallucinations. Mais était-ce bien une hallucination ? Je me retournai pour chercher la tige, et je la retrouvai immédiatement sur l'arbuste, fraîchement brisée entre les deux autres roses demeurées à la branche. Alors, je rentrai chez moi l'âme bouleversée, car je suis certain, maintenant, certain comme de l'alternance des jours et des nuits, qu'il existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d'eau, qui peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, doué par conséquent d'une nature matérielle, bien qu'imperceptible pour nos sens, et qui habite comme moi, sous mon toit..."


           Il veut prouver qu’il n’est pas fou comme le montre la première phrase de la deuxième version : « Cette fois, je ne suis pas fou ». Il veut prouver qu’il est un homme « raisonnable et serieux » et qu’il n’a pas été objet d’hallucinations.
           Dans la première version ce sont ses auditeurs qu’il veut convaincre tandis que dans la deuxième s’est lui-même qu’il veut convaincre car il est en plein doute. Il cherche la preuve matérielle pour prouver que l’évenement est réel.
           A la fin de chaque passage il rejette la folie et affirme qu’un être invisible a bien cueilli cette rose. Il exprime la certitude de son constat : « Je fus certain comme du jour et de la nuit » (1ère version), « Je suis certain, maintenant, certain, comme de l’alternance des jours et des nuits » (2ème version)